7 l'obligation d'agir

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7. L’obligation de limiter la vitesse des véhicules à la construction.

Selon la jurisprudence Doublet (CE, 14 décembre 1959), l’obligation de prendre des mesures de police est soumise à des conditions contraignantes : il faut que les mesures soient indispensables pour faire cesser un péril grave résultant d’une situation particulièrement dangereuse.

Cependant, un certain nombre de jurisprudences sont venues depuis considérablement assouplir ces conditions. C’est le cas en particulier de la jurisprudence Ville de Chevreuse (CE 8 juillet 1992) : le refus du maire de faire usage de son pouvoir de police pour remédier aux nuisances sonores nées des activités d’un club de tir a été jugée illégale.

En outre, la jurisprudence est encore beaucoup moins contraignante quand il s’agit de réparation des préjudices résultant de l’abstention de prendre les mesures de police nécessaires. Or, comme le fait remarquer Chapus (Droit Administratif Général, 1998, page 675), il est difficile de justifier le fait d’admettre des conditions différentes pour l’annulation et la réparation.

La différence d’appréciation concernant l’obligation de prendre des mesures de police qui est faite entre « l’avant » et « l’après » peut trouver, à défaut de justification, une forme d’explication en cas de connaissance incertaine, la survenue de l’événement amenant l’élément de certitude qui faisant défaut.

Dans le cas d’espèce, la question ne se pose pas, car il n’y a pas d’incertitude. Nous sommes déjà dans « l’après » : la mise en circulation de véhicules pouvant dépasser la vitesse maximale autorisée sur nos routes provoque chaque année le décès prématuré d’un grand nombre de personnes.

Quand une situation a produit un dommage grave et évitable et que le juge administratif estime que l’Etat a commis une faute en ne mettant pas fin à cette situation, ce constat est le résultat d’une évaluation objective de la déficience de l’Etat. Lorsqu’il est avéré qu’une situation analogue produit ou produira un dommage grave et évitable, le constat de la réunion des conditions établissant la faute de l’Etat doit permettre d’obtenir l’annulation de la décision de maintenir cette situation, la prévention devant toujours être préférée à la réparation.

7.1. L’existence d’un péril grave résultant d’une situation particulièrement dangereuse.

Nous avons présenté dans la section 3 des exemples types d’accidents provoqués par des véhicules roulant à une vitesse supérieure à 130 km/h, se traduisant par le décès de personnes.

Nous avons ensuite analysé en détail dans la section 4 le surrisque induit par la mise en circulation de véhicules pouvant dépasser la vitesse de 130 km/h. L’ensemble des données disponibles sur le risque routier en France permet d’affirmer qu’il s’agit d’un surrisque très important, qui se mesure en centaines de décès par an. L’existence de ce surrisque est documentée notamment par les assureurs, elle est bien connue de tous les responsables publics et n’est évidemment pas contestée dans la réponse du ministre à notre demande.

Il importe de souligner que nous sommes face à un risque prouvé en utilisant des méthodes reconnues. Cette garantie place l’action dans le domaine de la prévention et non dans celui de la précaution qui caractérise la prise de décision dans des conditions d’incertitudes relatives. Invoquer la précaution ne peut se faire que dans des circonstances particulières prévues par la loi, prenant en compte l’importance et le risque d’irréversibilité des dommages.

 7.2. L’existence d’obligation légale d’assurer la sécurité routière.

La sécurité routière fait l’objet de dispositions législatives et réglementaires spécifiques qui font peser des obligations sur tous les acteurs et en particulier sur le gouvernement.

La mise en circulation de véhicules pouvant dépasser la vitesse maximale autorisée sur nos routes expose les usagers de ces voies à un risque accru d’accident et particulièrement d’accidents mortels.

De ce fait, elle ne respecte pas l'article L 311-1 du code de la route qui dispose que:

« Les véhicules doivent être construits, commercialisés, exploités, utilisés, entretenus et, le cas échéant, réparés de façon à assurer la sécurité de tous les usagers de la route. »

En outre, elle porte atteinte à l'un des droits fondamentaux des individus, le droit à la sûreté, sans la moindre contrepartie qui puisse justifier cette atteinte.

Ce droit est garanti en France par la constitution au travers de l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». Il l'est aussi au plan international par l’article 3 de la déclaration universelle des droits de l’homme : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ».

7.3. La nécessité de limiter la vitesse des véhicules à la construction.

 La limitation de la vitesse maximale à la construction est une mesure éprouvée, qui a déjà été mise en œuvre pour les tracteurs, les cyclomoteurs et les poids lourds.

C’est à l’évidence la seule mesure susceptible de supprimer le surrisque de dommage corporel engendré par les véhicules roulant au-delà de la vitesse maximale autorisée. En effet, quelle que soit l’importance du contrôle du respect des limitations de vitesse mis en place, il se trouvera toujours une fraction des conducteurs pour utiliser en certaines circonstances la réserve de vitesse de leur véhicule.

Comme nous l’avons indiqué à la section 5, les experts, le gouvernement et la Commission Européenne reconnaissent le bien fondé et la nécessité de la limitation de la vitesse maximale des véhicules à la construction.

Il est important que cette mesure ait été recommandée par des experts du problème, la reconnaissance de sa nécessité par les décideurs politiques constituant un second argument décisif. Il devient difficile de contester la nécessité d’adopter une mesure très spécifique relevant des responsabilités de l’Etat dans un domaine de la sécurité sanitaire quand ceux qui détiennent le pouvoir de décider ont reconnu la mesure comme nécessaire. Le débat ne devrait plus porter que sur les modalités de la prise de décision.

Le gouvernement actuel a à plusieurs reprises exprimé des intentions d’actions fortes correspondant à notre demande :

-         Communiqué publié à l’issue du comité interministériel de sécurité routière du 18 novembre 2002 : « La France poursuivra au niveau communautaire ses démarches pour favoriser le prise en compte de la limitation de vitesse sur l’ensemble des véhicules à la construction. »

-         Déclarations du ministre de l’équipement Gilles de Robien le 23 octobre 2003 : « Aurons nous un jour le courage d’aborder la question du bridage des véhicules, techniquement appelée limitation par construction de la vitesse ? La France y est prête ».

Le problème se pose en effet uniquement en terme de courage. Malheureusement, la réponse faite à notre recours gracieux par le ministre des transports confirme que le courage nécessaire pour passer à l’acte fait encore défaut :

« Aujourd’hui, l’évolution majeure envisageable est l’introduction dans la réception communautaire, de l’obligation du limiteur de vitesse modulable sur les voitures particulières. Ce dispositif présente un triple avantage : d’une part il fait déjà l’objet d’une homologation internationale, et à ce titre il ne peut pas être techniquement controversé ; d’autre part, c’est une aide à la conduite, non un contrainte extérieure, et cette aide qui respecte en permanence la responsabilité du conducteur est disponible pour toutes les configurations de circulation urbaine, routières et autoroutières ; enfin ce dispositif est compatible avec toutes les réglementations nationales de circulation ainsi que leurs éventuelles évolutions dans le temps. »

Quand les pouvoirs publics ont souhaité limiter la vitesse des poids lourds à la construction, ils n’ont pas fait procéder à l’installation d’un « limiteur de vitesse modulable » sur ces véhicules pour respecter « la responsabilité du conducteur », ils ont contraint les constructeurs à limiter la vitesse des véhicules à la construction. Un limiteur volontaire de vitesse modulable n’est pas un limiteur de vitesse, un accélérateur est à ce titre également un limiteur de vitesse modulable qui permet de fixer sa vitesse à un niveau défini. Un limiteur volontaire de vitesse ne limite la vitesse que des conducteurs qui souhaitent respecter les limites légales ou réduire leur consommation de carburant. Ce dispositif n’a aucune influence sur les usagers qui n’ont pas de telles intentions.

Le « limiteur de vitesse modulable » n’est donc pas une mesure alternative à la limitation de la vitesse à la construction qui serait susceptible de supprimer le surrisque de dommage corporel engendré par les véhicules roulant à plus de 130 km/h.

La divergence entre la reconnaissance de la nécessité de la mesure et l’absence de capacité à faire évoluer le dossier au niveau européen traduit une situation de blocage qui n’a pas évolué sensiblement depuis la première recommandation par un groupe d’experts de l’adoption de cette mesure en 1989,

7.4. L’absence de contreparties négatives.

Le plus souvent, en matière de santé publique ou de sécurité, le décideur se trouve à devoir arbitrer entre des avantages et des inconvénients. Le choix du maintien d’un risque pour bénéficier d’avantages est fréquent. La commercialisation d’un médicament peut être autorisée ou maintenue malgré la survenue de complications thérapeutiques si le produit n’est pas remplaçable par un autre possédant la même efficacité sans produire de dommages et si l’importance de ces derniers est nettement inférieure aux services rendus.

Ce qui est remarquable avec la limitation de la vitesse des véhicules à la construction, c’est qu’il s’agit d’une mesure qui n’a aucune contrepartie négative.

Elle ne limite en rien la liberté des automobilistes, puisqu’il est de toute façon interdit de rouler au-delà de 130 km/h.

Elle ne présente aucune difficulté technique de conception ou de mise en œuvre. Les limiteurs de vitesse sont déjà couramment utilisés : ils sont obligatoires sur plusieurs catégories de véhicules (camions par exemple) et certains constructeurs de voitures haut de gamme (Audi et BMW par exemple) en installent eux-mêmes systématiquement sur leurs modèles les plus puissants, à cette différence près que le limiteur est réglé à … 250 km/h au lieu 130 km/h.

Elle est d’un coût négligeable pour les voitures neuves et l’adjonction d’un limiteur sur des voitures déjà en circulation est d’un coût très faible si les dispositifs sont produits en grande série à la suite d’une décision d’équipement de l’ensemble du parc en circulation.

Reste à examiner un argument, qui s’il n’est pas ou plus utilisé explicitement pour défendre la vitesse inutile, est encore implicitement présent dans les publicités de certains constructeurs. Ceux-ci mettent en avant l’intérêt d’une « réserve de vitesse » permettant d’accélérer pour dépasser « en toute sécurité ». Si cette affirmation correspondait à la réalité, elle indiquerait une possible contrepartie négative à la mesure proposée dont il faudrait évaluer la portée exacte.

Derrière le bon sens apparent de l’argument se cache en fait une série d’erreurs.

Il convient d’abord de remarquer que la possibilité de rouler à plus de 130 km/h ne présente aucun intérêt pour effectuer des dépassements. A 130 km/h, les véhicules sont par définition sur un réseau autoroutier et ne courent jamais de risque en dépassement du fait d’une vitesse insuffisante qui ne permet pas d’achever rapidement la manoeuvre, aucun véhicule n’étant susceptible de venir en sens inverse.

Il convient d’ajouter à cela que la limitation à 130 km/h de la vitesse des véhicules à la construction ne réduit en rien leurs possibilités d’accélération à des vitesses inférieures, de sorte que s’il était vrai que des capacités d’accélération élevées étaient susceptibles d’améliorer la sécurité des dépassements, cette caractéristique ne serait en rien affectée par la limitation de la vitesse maximale des véhicules à 130 km/h. En effet, la vitesse maximale et la capacité d’accélération sont deux caractéristiques qui peuvent être entièrement dissociées. Le développement de l’électronique embarquée favorise toutes les modulations de la limitation de la vitesse qui étaient déjà possibles avec les alimentations par carburateur sans intervention d’une régulation électronique. Il est en particulier possible de donner une plus grande souplesse aux actions de régulation, et même si cela était nécessaire de permettre de dépasser la vitesse limite pendant une période brève.

Enfin, l’affirmation elle-même, selon laquelle des capacités d’accélération élevées seraient susceptibles d’améliorer la sécurité en cas de dépassement, n'est pas confirmée par l'accidentologie car le conducteur intègre à son comportement les capacités d’accélération de son véhicule, et ce sont de fait les véhicules les plus puissants qui ont le plus d’accidents en dépassement. Cet aspect mérite d’être développé en détail, même si ce n’est pas nécessaire pour notre démonstration, puisque pour les raisons indiquées précédemment la limitation de la vitesse des véhicules à la construction n’y change rien.

L’affirmation en question joue sur une confusion entre la capacité de dépasser sans risque et la facilitation des dépassements qui est une notion bien différente.  Certains constructeurs connaissant l'accidentologie, notamment Volvo, ont d’ailleurs perçu récemment le caractère aventureux de l’affirmation et abandonné son usage publicitaire ou modifié sa rédaction, remplaçant la notion de « sécurité » par la notion de « facilité ». Il est évident que la possibilité d'une forte accélération à une vitesse donnée rend le dépassement "plus facile", mais elle peut dans le même temps rendre la manœuvre dangereuse du fait qu’elle a été facilitée. Deux types d’éléments peuvent être utilisés à l’appui de l’hypothèse que l’accroissement de la capacité d’accélération peut accroître le risque : ceux qui relèvent de l’analyse des facteurs de risque en dépassement et ceux qui proviennent des études d’accidents.

Quand un conducteur évalue ses possibilités de dépassement sur une route à deux voies où la circulation s’effectue dans les deux sens, il va tenir compte de la vitesse estimée du véhicule à dépasser et du temps qu’il va mettre pour effectuer son dépassement et pouvoir se rabattre, avant de gêner un éventuel véhicule venant en face. Ces paramètres vont être traduits en distance nécessaire pour effectuer ce déplacement, donc en temps compte tenu de l'expérience que l'on a des capacités d'accélération de son véhicule. Quand un véhicule avait une vitesse maximale peu élevée et de très faibles possibilités d’accélération à la vitesse à laquelle il circulait, comme par exemple les 2 CV Citroën des années cinquante, voire soixante, leurs conducteurs étaient confrontés à la lenteur de dépassement de poids lourds roulant à une vitesse légèrement inférieure à la vitesse maximale de ces 2 CV. Le temps de dépassement était très long, il fallait prendre de multiples précautions, le risque ressenti était élevé, le risque réel était très faible car le peu de différence entre la vitesse du véhicule dépassant et du dépassé permettait de renoncer sans risque et de se replacer derrière le camion que l’on souhaitait dépasser. La situation est très différente avec un véhicule disposant d’un couple très élevé et dont le conducteur sera incité à entreprendre un dépassement aventureux parce qu’il a confiance dans ses capacités de reprise. Une fraction de seconde d’erreur dans son estimation peut être dramatique du fait du cumul de deux risques, d’une part le rapport entre l’erreur absolue dans l’appréciation du temps de dépassement et la réalité de ce dernier est plus élevée du fait de la diminution du dénominateur, d’autre part le différentiel de vitesse entre le véhicule dépassé et le dépassant est élevé en fin de dépassement. Pour dire les choses autrement, un conducteur de 2 CV renonçait à son dépassement par une décision se situant en début ou au milieu de sa manœuvre et mettait facilement en œuvre ce renoncement. Le conducteur d’un véhicule doté de très fortes reprises va se trouver dans une impasse en fin de manœuvre et aura beaucoup de difficultés à renoncer à sa manœuvre car il a pu accroître dans des proportions importantes sa différence de vitesse avec le véhicule dépassé.

Confondre la facilité ressentie pour effectuer une manoeuvre et le risque qui lui est lié est une faute élémentaire. Cette confusion est fréquente, chaque fois qu’une modification technique d’un véhicule est présentée comme un facteur de sécurité, le premier artifice utilisé consiste à décrire l’effet de la mesure « toutes choses égales par ailleurs », ce qui ne correspond pas à la réalité. Un véhicule est conduit par un être humain qui est le décideur final et qui interprète en permanence les données qui lui parviennent concernant les autres véhicules, leur position, leur vitesse, leur comportement, mais aussi les données concernant l’infrastructure. A ces données « externes » il va confronter et adapter des données « internes » qui sont celles qui dépendent de lui, ou plus exactement de sa relation avec son véhicule, c’est-à-dire des capacités qu’il prête au couple qu’il forme avec cet instrument plus ou moins familier. Dans ce contexte assimiler facilité et sécurité est un abus de langage dangereux et bien entendu voulu. Une démarche de type publicitaire ne recherche pas la vérité, elle cherche à convaincre pour vendre. Pour illustrer cette ambiguïté nous pouvons utiliser des exemples relevant de la même problématique. Quand les freins dotés d’un système d’antiblocage des roues sont apparus, l’argument objectif d’une amélioration de la stabilité sur chaussée mouillée au freinage a été avancé pour promouvoir ce dispositif. Cette réalité indiscutable ne signifie pas que les accidents sur chaussée mouillée vont être moins fréquents avec ce dispositif et les assureurs qui avaient fait l’hypothèse de cette réduction du risque ont rapidement rétabli leurs tarifs d’origine en constatant qu’il n’y avait pas d’effet suffisamment significatif sur le risque pour justifier une telle ristourne. Les raisons peuvent être multiples, soit un mauvais usage des capacités nouvelles introduites par le dispositif, le conducteur n’utilisant pas ses capacités d’agir avec un moindre risque sur sa direction pendant son freinage, ce qui réduit ses capacités d’évitement, soit une surestimation de l’apport du dispositif, l’incitant à aller plus vite par temps de pluie. Disposer d’une capacité particulière permet de réduire le risque si elle est utilisée de façon «sécuritaire », elle peut provoquer une aggravation du risque si l’utilisateur surestime l’avantage apporté par la mesure et modifie son comportement jusqu’à provoquer un accroissement du risque réel, qui est bien distinct du risque ressenti.

Les données accidentologiques sur le risque lié au dépassement en fonction de la puissance ou de la vitesse maximale des véhicules sont pratiquement inexistantes en France. Un chercheur de l’INRETS, Jean-Louis Martin, a publié une étude déjà citée sur le risque en fonction de la masse des véhicules impliqués. (Estimation du risque de décès ou de blessure pour un conducteur en fonction des caractéristiques des véhicules par une analyse multivariée de séries appariées – conférence ESV 2003). L’un des auteurs de cette requête lui a demandé s’il avait documenté le risque en dépassement suivant la puissance des véhicules lors d’accident impliquant deux véhicules légers. Les données communiquées sont les suivantes :

- les véhicules notés en dépassement à gauche ne représentent que 2,9% des véhicules légers dans les accidents impliquant deux véhicules,

- cette proportion est de 2.5% pour les véhicules de moins de 70cv, 2.9% pour 70-89cv, 3.6% pour les 90-109 et 4% pour les 110 cv et plus.

Ces résultats n’ont pas été publiés car le phénomène ne lui apparaissait pas très important, et il n’avait pas d’évaluation de la qualité du remplissage de la variable concernant le dépassement dans les bordereaux d’accidents corporels de la circulation. Il faut cependant remarquer qu’ils confirment que ce sont bien les véhicules les plus puissants qui ont le plus d’accidents en dépassement. A l’opposé, l’affirmation qu’une réserve de puissance réduit le risque d’accident en dépassement n’a jamais été documentée par une étude accidentologique.

7.5. L’existence d’effets bénéfiques complémentaires.

En matière de sécurité routière, la limitation de la vitesse à la construction supprimera bien-sûr le surrisque provoqué par le dépassement de la vitesse à 130 km/h, mais elle aura aussi pour effet, comme nous l’avons indiqué dans la section 4 :

-         de diminuer le risque d’accident survenant à des vitesses inférieures à 130 km/h ;

-         d’entraîner une désescalade progressive dans la commercialisation de véhicules puissants et lourds, qui induira elle-même une diminution de la fréquence et de la gravité des accidents.

Outre l’amélioration de la sécurité routière, cette mesure entraînera de manière certaine un certain nombre d’effets bénéfiques complémentaires, que nous avons discutés à la section 6 :

-         la diminution de la consommation de carburant ;

-         la diminution de la contribution à la pollution et à l’effet de serre.

A cela s’ajoutent des avantages économiques pour les usagers déjà mis en évidence par la Commission Européenne consécutivement à la limitation de la vitesse à la construction des poids lourds 

-         la diminution du coût des assurances, du fait de la diminution du nombre et de la gravité des accidents ;

-         la diminution des coûts de maintenance (pneus, freins, moteur).

7.6. L’obligation d’agir de l’Etat.

Du point de vue de la gestion des risques par les autorités publiques, l’autorisation de mise en circulation de véhicules pouvant dépasser la vitesse maximale autorisée sur nos routes constitue une situation caricaturale. Cette autorisation a comme seul intérêt de fournir aux usagers de la route un moyen d’enfreindre la loi qui se traduit de manière certaine par le décès de centaines de personnes par an - doublée d’une augmentation de la pollution et de l’effet de serre - sans qu’aucun bénéfice ne vienne contrebalancer ce gâchis humain.

La mesure pour mettre fin à cette situation est connue et relève de la seule responsabilité gouvernementale : l’obligation d’installer des limiteurs de vitesse à la construction. Il faut insister sur le fait que cette mesure est nécessaire, qu’elle ne présente aucune difficulté technique de mise en oeuvre, qu’elle est éprouvée puisque utilisée avec succès pour les poids lourds, qu’elle est d’un coût négligeable, qu’elle présente de surcroît des avantages économiques pour les usagers du fait de la réduction de leur consommation de carburant et des dommages accidentels, qu’elle est recommandée par les experts depuis 15 ans, que son utilité et sa nécessité sont reconnues par le gouvernement et qu’elle est largement approuvée par la population en général et par les conducteurs eux-mêmes

Dans ces conditions décider d’autoriser mise en circulation de véhicules pouvant dépasser la vitesse maximale autorisée sur nos routes est une faute de l’État.

Il convient ici d'établir un parallèle avec la prévention des risques liés à l'exposition aux poussières d'amiante, qui a fait l'objet, le 3 mars dernier, d'une décision du Conseil d'État reconnaissant la responsabilité de l'État pour faute. Les juges administratifs ont considéré que l'État avait commis une faute pour ne pas avoir édicté des mesures réglementaires suffisantes pour assurer la sécurité des salariés exposés aux poussières d'amiante.

La cour de cassation avait auparavant reconnu la « faute inexcusable » d'un certain nombre d'employeurs qui n'avaient pas protégé leurs salariés  exposés aux poussières d'amiante. Le Conseil d'État a jugé dans sa décision du 3 mars que l’existence de responsabilités évidentes des employeurs n'exonérait pas l'État de ses responsabilités propres. Il l'a fait dans un attendu de principe dépassant le cas de l'amiante qui définit les obligations de l'État en matière de prévention des risques professionnels:

« Considérant que si, en application de la législation du travail désormais codifiée à l'article L. 230-2 du code du travail, l'employeur a l'obligation générale d'assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs placés sous son autorité, il incombe aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle, compte tenu notamment des produits et substances qu'ils manipulent ou avec lesquels ils sont en contact, et d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques, au besoin à l'aide d'études ou d'enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer ces dangers. »

Dans le cas de la vitesse inutile, nous sommes, comme pour l’amiante, dans le domaine du risque avéré et, au terme de la décision du Conseil d'État, il incombe aux autorités publiques de prendre les mesures appropriées pour faire cesser le danger que fait courir aux salariés l'utilisation de véhicules pouvant dépasser la vitesse maximale autorisée.

L'attendu de principe du Conseil d'État visant explicitement la prévention des risques professionnels, il ne s'applique directement qu'aux véhicules utilisés par des salariés. Cependant le raisonnement à l'oeuvre dans cet attendu ne fait intervenir que le cadre législatif qui organise la prévention de ces risques. Il vaut donc pour d'autres risques, dès lors qu'existe un cadre législatif comparable. 

 Concernant les risques encourus par les usagers de la route, ce cadre législatif existe. L'article L 311-1 du code de la route qui dispose que « Les véhicules doivent être construits, commercialisés, exploités, utilisés, entretenus et, le cas échéant, réparés de façon à assurer la sécurité de tous les usagers de la route. » fait peser une obligation générale de sécurité sur les constructeurs, vendeurs, exploitants et utilisateurs de véhicules, qui peut être comparée à celle que fait peser l'article L 230-2 du code du travail sur les employeurs.

Pas plus que l'article L 230-2 du code du travail n'exonère les autorités publiques de leurs responsabilités en matière de sécurité au travail, l'article L 311-1 du code de la route ne les exonère de leurs responsabilités en matière de sécurité routière. Au contraire, il fait peser sur elles l'obligation de prendre les décrets d'applications nécessaires. A ce titre, il leur incombe, comme l'a rappelé le Conseil d'État à propos de la sécurité au travail, de se tenir informées des dangers que peuvent courir les usagers de la route, et d'arrêter, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer ces dangers. Le risque que font courir aux usagers de la route les véhicules inutilement rapides étant grave et avéré,  elles ont obligation de prendre la mesure qui en l’occurrence s'impose: interdire leur mise en circulation.