4 le risque

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4. Caractérisation du risque induit par les véhicules inutilement rapides.

4.1. La notion de causalité dans la production des accidents de la circulation.

Cette partie de notre requête étant nécessairement fondée sur des faits de nature scientifique et technique, nous produisons dans des annexes d’une part la définition d’un certain nombre de termes et d’expressions utilisées, en accord avec les usages des spécialistes de la mécanique et des études d’accidents, d’autre part des résumés d’études disponibles dans la littérature scientifique et que nous citons, avec leurs références. Les notions les plus fondamentales concernent évidemment le concept de vitesse qui est la longueur du déplacement dans l’unité de temps. Il convient de distinguer la vitesse de circulation avant que les circonstances de l’accident apparaissent, la vitesse de collision entre deux véhicules ou entre un véhicule et un obstacle fixe, la variation de vitesse pendant la phase de choc qui déforme les structures du ou des véhicules et enfin une éventuelle vitesse résiduelle.

L’accident de la circulation est la conséquence de la défaillance soudaine d’un système associant un ou plusieurs véhicules, le ou leurs conducteurs et éventuellement un ou plusieurs piétons, produisant éventuellement des traumatismes chez les usagers impliqués. Les conditions de fonctionnement du système, donc les choix de ceux qui l’ont organisé, jouent un rôle déterminant dans le nombre d’accidents qui vont survenir sur un réseau routier. Si l’organisation du système fonctionne dans des conditions stables, le taux d’accident survenant chaque année (accidentalité) subira des variations minimes liées aux différences de kilomètres parcourus, aux variations de conditions météorologiques, aux améliorations progressives de la sécurité des véhicules et des infrastructures, et à des fluctuations aléatoires. L’évolution de la mortalité sur les routes entre mai 1997 et mai 2002 illustre une situation de faible réduction de l’accidentalité et de ses conséquences. La diminution du nombre de tués a été de 180, la valeur annuelle passant de 8008 à  7828 (calculée chaque mois en faisant la somme des résultats des douze mois précédents). Entre mai 2002 et juin 2004, le nombre de tués sur les routes s’est réduit de 2491, soit une diminution de 31,8% et cette amélioration très importante est attribuée aux actions gouvernementales entreprises pendant cette période. Elles associaient des modifications législatives et réglementaires destinées à rendre plus crédible et dissuasif le système de contrôle et de sanction, notamment dans le domaine du respect des vitesses maximales autorisées par la mise en place d’un dispositif de contrôle automatisé. Ces mesures avaient été recommandées par des groupes d’experts ayant participé d’une part à l’étude des « Gisements de sécurité routière », (commission présidée par le préfet Guyot et dont le rapport a été publié par la Documentation Française en mai 2002), d’autre part à l’évaluation du système de contrôle et de sanction (commission présidée par Michel Ternier et dont le rapport a été publié par la Documentation Française en octobre 2003).

Les fortes réductions de la mortalité sur les routes au cours des trente dernières années ont été provoquées par des décisions politiques modifiant le niveau de risque du système. Les mesures les plus importantes ont concerné le port obligatoire de la ceinture de sécurité et l’instauration de limitations de vitesse sur l’ensemble du réseau routier en 1973, et au cours de la période récente, la modification profonde du système de contrôle et de sanction. Ces faits ont une importance décisive pour démontrer que le niveau d’insécurité routière n’est pas un prix fixe à payer en vies humaines pour se déplacer librement avec des véhicules à moteur. Il est le produit d’un dispositif doté de caractéristiques organisationnelles et fonctionnelles déterminant le niveau de l’accidentalité. Ces caractéristiques sont fixées par les pouvoirs publics, elles regroupent un ensemble de textes législatifs et réglementaires, de circulaires, et de normes qui vont tenter d’établir le meilleur compromis possible entre la fonction de transport et la fonction de sécurité.

La prise de décision dans le domaine de la sécurité routière utilise les méthodes générales d’acquisition des connaissances dans le champ de la causalité, et donc de la responsabilité. Il s’agit de relier dans l’espace et dans le temps des séquences de faits observés en appliquant des lois fondamentales établies à partir de l’observation, et éventuellement exprimées à l’aide de formulations mathématiques. Cette relation entre la diversité des phénomènes observés et la compréhension de la nature causale du lien qui les unit est parfois difficile à établir, mais dans le domaine de l’accident de la route, l’importance des lois fondamentales de la physique, et la précision de la formulation mathématique de ces lois, confèrent une grande sécurité aux conclusions qui peuvent être formulées.

La description et la compréhension des risques liés au dysfonctionnement du système de transport utilisant des véhicules individuels reposent sur une méthode rigoureuse :

-         Les hypothèses de base concernant le risque peuvent être formulées en utilisant les connaissances fondamentales des mécanismes physiques ou biologiques susceptibles d’intervenir dans un accident de la route. Leur objectif est de prévoir les événements qui font sortir le processus de son déroulement normal, ainsi que ses conséquences, avant même d’observer le système dans son fonctionnement réel. Les lois de la mécanique définissant l’énergie cinétique d’un système, le temps de réaction d’un individu à la perception soudaine d’une information, la relation entre l’établissement d’une règle dans une société donnée et son respect ou sa transgression (notion de délinquance) étaient identifiées avant l’apparition du premier véhicule automobile.

-         La confirmation des hypothèses et le développement de nouvelles connaissances plus précises seront produits par :

o       les méthodes de la statistique à visée explicative appliquées aux accidents réels, qui vont préciser l’influence relative des différents facteurs et accroître la capacité de modélisation,

o       l’expérimentation reproduisant des accidents dans les conditions de la réalité ou les comportements humains sur des simulateurs,

o       la biomécanique expérimentale,

o       la modélisation à l’aide de calculateurs.

Ces procédures produisent des connaissances qui se complètent. Elles contribuent à établir un système circulaire de développement du savoir caractérisant la méthode scientifique. Un problème nouveau est abordé en utilisant les acquis pour formuler des hypothèses en accord avec les connaissances disponibles. L’observation, l’expérimentation, vont permettre d’accroître nos connaissances et  finalement d’agir sur le dispositif en modifiant les conditions de fonctionnement. L’analyse et la quantification des modifications obtenues par la poursuite de l’observation des faits réels ou expérimentaux, notamment l’obtention de l’efficacité recherchée quand on modifie les conditions de fonctionnement du dispositif produisent les arguments les plus pertinents pour affirmer des liaisons de nature causale à l’intérieur d’un système.

La démarche initiale permet de prévoir en appliquant des règles validées. Il peut s’agir de règles très fondamentales de la physique comme les relations unissant les efforts, les vitesses, les masses, les accélérations ou d’autres variables dérivées beaucoup plus complexes. Quand un ingénieur exploite une réalité quantifiée telle que la libération d’énergie au cours d’un choc qui annule la vitesse d’un véhicule par la formule E = ½ MV2  il travaille dans ce domaine qui s’étend jusqu’à la compréhension et à la description d’un seuil de tolérance au choc d’une boite crânienne humaine et la reproduction de sa déformation par un programme de calculateur intégrant des formes et des règles. A un moment donné de l’histoire des connaissances, nous sommes capables de prévoir la survenue d’événements quand un certain nombre de conditions sont réalisées.

Le progrès des connaissances est assuré par l’exploitation des résultats produits par des actions sur le système, de nature qualitative (présence ou absence de ceinture, transformation d’un carrefour traditionnel en rond-point) ou quantitative (vitesse de circulation, niveau d’alcoolémie). Le traitement par des méthodes appropriées de grandes séries d’observations permet de conclure en précisant le degré de confiance que l’on peut accorder à ces conclusions. Dans un premier temps ces études établissent le lien statistique entre les conditions observées et la survenue des événements (notion de corrélation), puis précisent avec un ensemble d’arguments si le lien peut-être considéré comme de nature causale. Une relation quantifiée entre deux ensembles de valeurs, associée à la compréhension des mécanismes élémentaires qui expliquent ce lien, et finalement l’obtention de la modification prévue de leur relation par une action sur le facteur causal, sont les éléments de ce processus de progrès des connaissances.

4.2. Les fondements physiques du risque lié à la vitesse d’un véhicule.

L’usager d’une voiture détermine sa trajectoire et sa vitesse de déplacement en agissant sur le volant et l’accélérateur. En fonction de l’environnement routier sur lequel il circule, il va adapter en permanence ces deux caractéristiques de son déplacement. Quand il perçoit un risque de collision, il va le plus souvent réduire sa vitesse et éventuellement s’arrêter. Si sa vitesse a été insuffisamment réduite dans le contexte auquel il est confronté, il peut perdre le contrôle de son véhicule et quitter la chaussée, il peut également entrer en collision avec un autre usager, faute d’avoir la capacité de s’arrêter dans l’espace libre dont il disposait. Les relations entre la vitesse initiale de circulation, et la distance d’arrêt en situation d’urgence ont été largement étudiées, elles fondent de manière indiscutable la relation entre la vitesse de circulation et le risque d’accident dans un tel contexte. Quand un automobiliste circule à une vitesse dépassant largement le maximum autorisé sur la file de gauche d’une autoroute à deux voies et qu’un véhicule roulant à une vitesse proche de la vitesse maximale se déporte sur cette voie pour effectuer un dépassement, la collision ne sera évitée que si l’espace parcouru pendant le temps de réaction du conducteur du véhicule en excès de vitesse et la durée du freinage est inférieur à l’espace disponible.

Les éléments permettant le calcul de telles situations sont établis. Le temps de réaction minimal à un événement soudain d’un usager normalement vigilant (en dehors d’un déficit de sommeil et de l’effet de produits psycho-actifs) se situe entre 1/3 et 2/3 de seconde et pendant cet intervalle un véhicule roulant à 130 km/h (36 mètres par seconde) va parcourir de 12 à 24 mètres. Les distances nécessaires pour annuler une vitesse à partir du début du freinage vont dépendre de l’adhérence de la chaussée et de l’énergie cinétique du véhicule qu’il convient de neutraliser. Cette énergie varie comme le carré de la vitesse. Cela signifie qu’un véhicule roulant à 160 km/h a une énergie cinétique dépassant de 50% celle d’un véhicule roulant à la vitesse maximale autorisée de 130 km/h.

Le risque lié à la vitesse de circulation dépend du type d’infrastructures sur lesquelles circulent les véhicules, ce qui justifie que les vitesses maximales autorisées varient en fonction de ce contexte. Une autoroute ne comporte pas d’intersections et le risque d’être exposé à un choc frontal est très limité quand elle est équipée de glissières de sécurité ou d’un muret de séparation, cette situation justifie une vitesse maximale plus élevée que sur une route à deux voies avec des intersections à niveau et des risques de collision frontale en cas de perte de contrôle. Le risque le plus élevé est en agglomération du fait du grand nombre d’intersections et de la réduction de la visibilité du trafic lors de leur franchissement, les immeubles masquant les voies. Il convient donc d’analyser le risque lié à la vitesse en France en utilisant les données concernant les vitesses de circulation sur les différents types de voies et les connaissances du risque d’accident en fonction de la vitesse sur un type de voie donné.

L’ensemble des règles de la physique et de la cinématique gouvernant ces situations  permet à elle seule d’affirmer que l’accroissement de la vitesse de circulation dans un environnement donné va accroître le risque de dysfonctionnement du système et produire des accidents. Il est également possible d’affirmer que la croissance du risque n’est pas reliée à la vitesse par une fonction linéaire assurant une proportionnalité directe entre les deux variables. Elle se fait suivant des lois de type exponentiel, un accroissement donné de la vitesse, par exemple de 10 km/h produira un accroissement du risque qui ne sera pas le même pour une vitesse de circulation de 50 ou de 90 km/h (dans un environnement identique).  Les lois mathématiques et physiques sur lesquelles se fondent ces affirmations constituent les conditions structurelles de fonctionnement du système. Leur influence sur le risque de collision et la gravité des conséquences du choc lorsqu’il survient ne peut être discutée. La seule notion à préciser est la quantification du risque, qui commande les choix «raisonnables » destinés à réduire ce risque, voire à le supprimer totalement dans certaines circonstances.

Quand, au-delà des bases théoriques du dispositif, l’observation permet de mieux quantifier l’influence des facteurs de risque et d’analyser le mécanisme par lequel ils produisent leur effet, il est possible de modéliser les situations et de conforter l’analyse explicative en constatant que les différences observées au niveau des conséquences sont conformes aux résultats produits par les modèles. Nous en donnerons des exemples.

4.3. La documentation des vitesses de circulation en France.

Le premier point que nous devons préciser est l’existence d’une circulation de véhicules à des vitesses supérieures à la vitesse maximale de 130 km/h qui est la plus élevée autorisée sur les autoroutes en France. Notre demande de limitation à 130 km/h de la vitesse maximale serait évidemment sans objet si aucun dépassement de cette vitesse n’était observé dans la réalité de la circulation.

L’observatoire national interministériel de sécurité routière a développé un observatoire des vitesses qui présente le résultat de mesures faites dans des conditions identiques et à intervalles réguliers sur le réseau routier. Les valeurs publiées permettent de connaître la fraction de la circulation en excès de vitesse par rapport à la vitesse maximale de 130 km/h autorisée sur les autoroutes :

 


 

Année 2002

130/140

+ de 140

+ de 130

Autoroute de liaison

18%

31%

49%

Autoroute de dégagement

10%

6%

16%

RN à 2x2 voies

11%

6%

17%

RN à 2 ou 3 voies

 

 

1,1%

RD à grande circulation

 

 

2,1%


 

Année 2003

130/140

+ de 140

+ de 130

Autoroute de liaison

20%

22%

42%

Autoroute de dégagement

8,7%

4,2%

12,9%

RN à 2x2 voies

7,4%

2,6%

10%

RN à 2 ou 3 voies

 

 

0,3%

RD à grande circulation

 

 

1,1%

L’analyse des données publiées permet de préciser les points suivants :

-         les vitesses de circulation dépassant 130 km/h ne sont pas observées uniquement sur les voies à  chaussées séparées (autoroutes, voies rapides), elles sont également documentées sur le réseau à 90 km/h, et le surrisque d’accident est alors particulièrement élevé sur ces routes qui ne sont pas conçues pour de telles vitesses,

-         l’effort très important entrepris depuis deux ans pour redonner une crédibilité à l’application de la réglementation sur les vitesses a eu des effets mesurables sur la distribution des vitesses et sur la sécurité, mais il est également évident qu’une très forte proportion d’usagers ne respecte pas les limites réglementaires, montrant les limites d’une sécurité fondée uniquement sur le système de contrôle et de sanction, sans rechercher l’action complémentaire sur les performances des véhicules,

-         la connaissance de la distribution des vitesses de circulation des véhicules, en distinguant leurs catégories, permet de calculer l’influence de la part de ces vitesses dépassant 130 km/h sur la vitesse moyenne des véhicules dits de tourisme. L’Observatoire national interministériel de sécurité routière publie ces résultats sous la rubrique « observatoire des vitesses » du site internet www.equipement.gouv.fr et dans les bilans annuels de « la sécurité routière en France » publiées par « La Documentation Française ».

La distribution des vitesses sur les autoroutes de liaison est présentée ci-dessous (véhicules dits de tourisme, circulation de jour).

 Année 2002

classes de vitesses

effectifs en %

contribution à la vitesse moyenne

60

0,6

36

75

0,7

52,5

85

3,3

280,5

95

6,9

655,5

105

11

1155

115

14,9

1713,5

125

19

2375

135

19

2565

145

13,8

2001

155

7,1

1100,5

165

2,6

429

180

1,2

216

Les mesures sont faites par classes de 10 km/h, sauf pour deux classes concernant les vitesses inférieures à 70 km/h et les vitesses supérieures à 170 km/h pour lesquelles nous avons retenu des vitesses moyennes de 60 et 180 km/h. Cette approximation a une faible influence sur le calcul de la contribution de ces deux classes à la vitesse moyenne, compte tenu de la faiblesse des effectifs (0,6% et 1,2%). La somme des valeurs de la colonne de droite divisée par 100 produit une estimation fiable de la vitesse moyenne : 125,8 km/h . La valeur indiquée pour cette année là par l ‘observatoire national interministériel de sécurité routière a été de 126 km/h (bilan de l’année 2002 de l ‘ONISR – page 114).

La connaissance de la proportion de véhicules roulant à des vitesses supérieures à 130 km/h permet de calculer leur contribution à la vitesse moyenne, puis de calculer cette dernière si tous les conducteurs de ces véhicules avaient respecté la vitesse maximale autorisée sur ce réseau de 130 km/h. L’abaissement de la vitesse moyenne en 2002 aurait été de 6,3 km/h, passant de 125,8 à 119 km/h.

Les valeurs pour l’année 2003 sont les suivantes :

Année 2003

classes de vitesses

effectifs en %

contribution à la vitesse moyenne

60

0,6

36

75

1,5

112,5

85

3,9

331.5

95

6,4

608

105

10

1050

115

15,9

1828,5

125

21,3

2662,5

135

20,6

2781

145

12,6

1827

155

5,1

790,5

165

1,4

231

180

0,5

90

Ces valeurs permettent d’évaluer la vitesse moyenne à 123,5 km/h et de préciser que le respect par tous les usagers de la vitesse maximale aurait diminué cette vitesse moyenne de 4,9 km/h.

Nous évaluerons, dans la partie concernant les relations entre les vitesses mesurées et le risque accidentel, le nombre d’accidents liés aux vitesses dépassant 130 km/h qui seraient évités si la vitesse maximale des véhicules était de 130 km/h. Le but recherché ici est de montrer la fréquence de ces excès et  l’importance de leur contribution à l’accroissement des vitesses moyennes, ces dernières étant comme nous le verrons un très bon indicateur du niveau de risque sur une infrastructure routière donnée.

4.4. Relations entre risque et vitesse fournies par les études accidentologiques.

Les études établissant ces relations sont nombreuses, et nous utiliserons volontairement non seulement les études les plus récentes, mais également des études déjà anciennes pour mettre en évidence le fait que nous ne sommes pas confrontés à une connaissance récente qui expliquerait l’absence de mesure efficace de contrôle d’un risque identifié et évitable. Comme dans d’autres domaines de la gestion des risques, l’ancienneté de l’identification est un facteur d’affaiblissement de l’attention portée à un risque donné, comme si la familiarité réduisait les réactions des pouvoirs publics et des personnes exposées au risque. L’amiante a été un exemple très documenté de cette relative indifférence à un risque identifié depuis longtemps. La survenue des pneumoconioses a été signalée en France dès 1906, puis le risque de cancer broncho-pulmonaire pendant la période 1935-1955, et enfin le risque de cancer de la plèvre a été établi entre 1960 et 1965. Il a cependant fallu attendre 1997 pour que l’usage de l’amiante soit interdit en France.

La relation entre la vitesse de circulation et le risque.

Deux études ont joué un rôle fondateur dans ce domaine, elles datent respectivement de 1964 et 1968.

En 1964, D. Solomon, travaillant pour le département fédéral des transports à Washington, a publié une étude portant sur 10 000 accidents survenus entre 1955 et 1968 sur 35 sections de routes. Parmi les multiples analyses de ses données, l’une d’entre elles exprimait la relation entre la vitesse de circulation et la proportion d’usagers blessés dans ces accidents. Cette courbe est reproduite dans l’annexe 2. Dans un commentaire récent (pièce n° 7) des données de Solomon, W.F. Frith et T.L. Patterson (Research and Statistics, Land Transport Safety Authority, New Zealand) ont insisté sur l’importance de cette mise en évidence quantifiée de l’accroissement du risque en fonction de la vitesse et du caractère secondaire de l’influence de la variance de la distribution des vitesses entre les véhicules. Si l’on ajuste les points de la courbe de Solomon avec une fonction de type exponentiel, le coefficient de corrélation obtenu est de 0,94

 En 1968, un ingénieur de la société Volvo, M. Bohlin, a publié dans la plus importante des conférences internationales sur l’accidentologie, la conférence STAPP, organisée par la société des ingénieurs de l’automobile, une des premières études documentant le risque de blessure ou de mort en fonction de la vitesse de circulation et du port ou de l’absence de port de la ceinture de sécurité (pièce n° 8). Le nombre d’accidents étudié est de 28000. Les plans de l’accident, les traces de freinage, les déclarations des témoins et des usagers étaient utilisés pour établir la vitesse de circulation. Les graphiques correspondant à cette étude sont produits dans l’annexe 3. Il faut remarquer le niveau exceptionnellement élevé de la relation entre la vitesse de circulation et le risque.

Ces deux études n’ont fait que confirmer une notion prévisible, la croissance du risque d’avoir un accident avec dommages corporels ou la croissance du risque d’être blessé quand on est impliqué dans un accident de la route en fonction de la vitesse de circulation du véhicule. Elles permettent d’assurer un pas supplémentaire dans l’estimation de ce risque. Elles le quantifient dans des conditions réelles d’usage de l’automobile au niveau de deux pays dont les parcs automobiles étaient très différents l’un de l’autre à l’époque et induisaient des modes de conduite particuliers. Les différences sociologiques entre les deux pays pouvaient également se traduire par des comportements différents. Malgré ces particularismes, la croissance du risque dans les deux cas était une fonction exponentielle de la vitesse de circulation et la fonction calculée ajustait avec une grande précision vitesse et risque. Ce constat ne signifie pas que la vitesse est le seul facteur de risque, elle est elle même déterminée par le choix des usagers à chaque moment et dans un contexte donné, mais il indique que, dans un environnement comportant par ailleurs de nombreuses particularités, le risque est une fonction exponentielle de la vitesse.

La relation entre la variation de la vitesse moyenne et le risque

D’autres études ne tentent pas de préciser la vitesse de circulation de chaque véhicule avant la confrontation de leur utilisateur avec les conditions de circulation qui ont provoqué l’accident, elles analysent la relation entre la vitesse moyenne de circulation observée sur des voies et le risque accidentel.

Une des plus récentes a été conduite en Grande Bretagne par le TRL (Transport Research Laboratory) qui est l’organisme de recherche sur les transports du Royaume Uni. Elle avait été commandée par la Road Safety Division du Department for Transport et faisait suite au rapport de Mars 2000 de ce ministère sur la vitesse qui avait conclu à la nécessité de mieux préciser le risque qui lui était associé en fonction des différents types de voies empruntées. Le rapport correspondant N°511 rédigé par M.C. Taylor, A. Baruya et J.C. Kennedy a été publié par le TRL en 2002 (pièce n° 9). La conclusion la plus importante est que « La fréquence des accidents de toutes catégories s’accroît rapidement avec la vitesse moyenne – la fréquence varie comme la vitesse moyenne à une puissance d’environ 2,5 – ce qui indique qu’un accroissement de 10% de la vitesse moyenne produit un accroissement des accidents de 26% ». Une telle relation implique que le niveau de vitesse moyenne influe sur le taux exprimé en % de la variation du risque  : «Le pourcentage de réduction de la fréquence des accidents pour une réduction de 1 mile/heure de la vitesse moyenne impliquée par une telle relation dépend du niveau de la vitesse moyenne. Il va de 9% à la vitesse moyenne de 27 miles/heure  à 4% pour une vitesse moyenne de 60 miles/heure ». Cette constatation est une conséquence directe de l’influence de l’environnement sur les vitesses de circulation. Une vitesse basse indique un environnement comportant des facteurs de risque à un niveau élevé. C’est le taux d’accroissement de la vitesse qui est la bonne référence pour calculer la croissance du risque et non son accroissement en valeur absolue. Un graphique extrait de ce travail est reproduit dans l’annexe 4.

Une étude suédoise de 1997 de G. Andersson et G. Nilsson ( Speed management in Sweden. Linkoping: Swedish National Road and Transport Institute VTI.) avait utilisé une méthode proche analysant l’effet des différentes modifications des limitations de vitesse en Suède sur les accidents enregistrés  dans les zones concernées. Leur modèle établissait que la fréquence de l’ensemble des accidents corporels variait comme le carré de la modification de la vitesse, comme sa puissance trois pour les accidents corporels graves, et comme sa puissance quatre pour les accidents mortels.

La comparaison entre les situations de deux pays différents peut également être utilisée pour apprécier l’influence des différents facteurs de risque sur l’accidentalité. Ces études mettent en évidence la grande fiabilité des procédures de modélisation de l’insécurité routière. Une analyse récente effectuée par Robert Delorme et Sylvain Lassare (L’insécurité routière en France dans le miroir de la comparaison internationale – la comparaison entre la France et la Grande Bretagne - rapport de l’Institut National de recherches et d’études sur les transports et leur sécurité – INRETS) a utilisé les connaissances de l’influence des différents facteurs de risque pour expliquer la différence de mortalité routière entre la Grande Bretagne et la France pour l’année 2000. Cette période précède l’action gouvernementale française sur le système de contrôle et de sanction qui a été décidée au cours de l’année 2002 et n’est devenue effective qu’au cours de l’année 2003.

Les auteurs ont pris en compte la mobilité, le réseau routier, la conduite sous l’influence de l’alcool, la vitesse moyenne de circulation, le taux de port de la ceinture de sécurité et les caractéristiques du parc automobile (masse et âge). Les niveaux de risque utilisés étaient ceux publiés dans la littérature accidentologique. Les résultats permettent de constater que les différences de mortalité sur les routes entre les deux pays s’expliquent en presque totalité par quatre facteurs de risque, un seul concerne la nature de l’exposition au risque, les trajets urbains à faible niveau de risque étant plus importants en Grande Bretagne, une faible proportion de décès s’explique par un plus faible taux de port de la ceinture aux places arrière en France. Les deux facteurs expliquant la plus grande part des différences observées sont la conduite sous l’influence de l’alcool et la différence entre les vitesses de circulation :

-         les décès attribuables à l’alcool seraient réduits de 20,6% si la distribution des alcoolisations des conducteurs français était identique à celle des conducteurs britanniques,

-         les décès attribuables à la vitesse seraient réduits de 33% dans les conditions de circulation observées en Grande Bretagne. Les vitesses moyennes retenues d’après les données observées disponibles étaient respectivement de 127 et 112,6 km/h sur les autoroutes françaises et anglaises, de 89 et 72,4 km/h sur le réseau à chaussées non séparées, et pratiquement identiques (51,5 et 52 km/h) sur le réseau urbain. Pour calculer ces fractions attribuables, la règle empirique d’une diminution de 40% de la mortalité routière sous l’influence d’une diminution de 10% de la vitesse moyenne a été appliquée.

L’ensemble des études disponibles met en évidence la validité de l’estimation des variations du risque routier en utilisant la mesure de la variation de la vitesse moyenne. Le risque étant une fonction exponentielle de la vitesse de circulation, il est cohérent d’observer une diminution des accidents corporels supérieure au carré de la réduction de la vitesse moyenne car ce sont les vitesses les plus élevées qui sont réduites par les mesures réglementaires de la limitation de la vitesse maximale. Les accidents mortels sont encore plus sensibles à la réduction de la vitesse, le risque de décès étant particulièrement élevé pour les vitesses les plus hautes.

La relation entre les modifications de la vitesse maximale autorisée sur un réseau autoroutier et le risque

Fixer des vitesses maximales ne détermine pas automatiquement la vitesse de circulation des usagers. La relation entre ces deux variables, les premières fixées autoritairement par les responsables de la sécurité routière, les autres par les usagers, dépend en grande partie du pouvoir dissuasif exercé par le système de contrôle et de sanctions. L'analyse des relations entre le changement du niveau des vitesses maximales autorisées et l'accidentalité (ou un indicateur qui en dérive comme la mortalité) doit donc être faite en conservant à l'esprit cette relation. Cependant de très nombreux exemples ont prouvé que la décision de réduire les vitesses maximales autorisées s'accompagnait d'une réduction de la mortalité.

En France l'exemple le plus probant a été donné par les variations successives des limites maximales de vitesse sur les autoroutes à partir du 3 décembre 1973. Avant la limitation de vitesse à 120 km/h le taux de mortalité était de 3,6 tués par cent millions de kilomètres parcourus, il s'est effondré à 1,5 après cette décision, durant la période allant de décembre 1973 à avril 1974. A la suite de démarche des constructeurs automobiles auprès du Président de la république, la vitesse maximale a été portée à 140 km/ le 13 mars 1974. Pendant la période de cette nouvelle limite, ce taux de mortalité est remonté à 2,1 tués. Le débat gouvernemental provoqué par cette évolution démonstrative a permis au délégué interministériel de la sécurité routière de l'époque d'obtenir un abaissement à 130 km/h de la vitesse maximale en octobre 1974 et la mortalité s'est abaissée à nouveau à 1,5. La représentation graphique de la mortalité en fonction du kilométrage parcouru pendant cette période est présentée dans le livre de Cohen et collaborateurs, Limitations de vitesse : les décisions publiques et leurs effets (pièce n° 11)  et reproduite dans l’annexe 5.

Une autre expérience semblable a été faite aux USA. Lors du premier choc pétrolier de 1973 la vitesse maximale a été abaissée à 55 miles par heure (88,5 km/h) et la réduction de la mortalité attribuée à la réduction de la vitesse a été de 32% sur les autoroutes. Quand la liberté a été donnée aux Etats en décembre 1995 de fixer eux-mêmes la vitesse maximale sur les autoroutes, après la période de niveau uniforme fixé au niveau fédéral, certains Etats ont augmenté la vitesse maximale autorisée, d'autres pas. L'accroissement de la mortalité observée sur les autoroutes de 24 Etats qui avaient décidé l'accroissement de la vitesse maximale sur un réseau autoroutier suffisamment long pour permettre une étude a été de 15% au cours des trois années suivantes.

Les analyses américaines sur le long cours ont un autre intérêt, elles mettent en évidence l’érosion de l’effet de la modification de la vitesse maximale année après année. Entre 1973 et 1983 la réduction de la vitesse moyenne qui était initialement de 7,4 mph (11,8 km/h) a diminué d’environ 20%. Les distributions des vitesses ont été mesurées avant et après l’abaissement de la vitesse maximale, et il est important de constater que le déplacement des vitesses les plus élevées vers des valeurs plus basses ne supprime pas les excès de vitesse. Quelle que soit la crédibilité d’un système de contrôle et de sanctions, et le système américain est considéré comme un des plus dissuasifs au monde, un abaissement de la vitesse maximale autorisée réduit le risque en décalant la distribution des vitesses vers des valeurs plus faibles mais laisse subsister une fraction importante de véhicules en infraction (environ 38% dans une étude de l’AASHTO de 1974, plus de 20% dépassant la vitesse maximale de plus de 5 mph). Cette notion est fondamentale car elle permet d’affirmer qu’une mesure de sécurité structurelle telle que la limitation de vitesse par construction, qui ne permet pas de dépasser la vitesse maximale autorisée, sera toujours plus efficace qu’une mesure réglementaire tendant à maintenir la vitesse dans des limites définies, mais pouvant être transgressées par la conjonction d’une décision individuelle et d’un véhicule capable de dépasser la vitesse maximale.

De très nombreuses études consacrées à l'influence sur l’insécurité routière des politiques publiques fixant les vitesses maximales autorisées sont disponibles dans la littérature spécialisée. Une synthèse de ces résultats a été faite par des chercheurs de l'INRETS  (Limitations de vitesse - les décisions publiques et leurs effets - Simon Cohen et collaborateurs - Editions Hermès 1998).

 La relation entre la variation de vitesse lors d’une collision et le risque

Ces données constituent le quatrième groupe de connaissances sur le lien entre vitesse et risque. Un véhicule circule à une vitesse qui varie en fonction de l’environnement routier, les usagers rouleront plus lentement dans des zones urbaines que sur des voies hors agglomération, les vitesses les plus élevées étant observées sur les voies à chaussées séparées (voies rapides et autoroutes). L’objectif est de tenter de maintenir un niveau de risque relativement constant en fonction de l’environnement routier. Quand des équipes d’accidentologistes analysent les déformations d’un véhicule accidenté, ils documentent d’une part le niveau de variation de vitesse qui a pu produire ces déformations (par comparaison avec des exemples de chocs expérimentaux à vitesse contrôlée) et d’autre part les conséquences chez les usagers de la variation de vitesse qui a produit ces déformations. Une réaction de freinage étant habituellement intervenue lorsque le ou les usagers perçoivent le risque de collision, et la vitesse pouvant ne pas être annulée par le choc (persistance d’une vitesse résiduelle après la collision) les variations de vitesse capables de produire les déformations observées sont très nettement plus faibles que les vitesses de circulation et parfois plus élevées que les vitesses de collision. Leur intérêt est cependant considérable pour établir une preuve supplémentaire du lien entre la croissance d’une vitesse et la croissance du risque.

Toutes les études accidentologiques entreprises depuis le début des années 70 ont abouti aux mêmes conclusions. De quelques km/h à environ 60 km/h, les variations de vitesse lors de la collision produisent des lésions qui croissent de façon exponentielle avec cette variation de vitesse. Au-delà de 60 km/h la courbe suit une loi différente et se rapproche de l’horizontale, ce qui signifie que l’on a atteint des niveaux de violence incompatibles avec la conservation de l’intégrité d’un habitacle de voiture. Quand celui ci est totalement détruit, la chance de survie est très réduite.

Deux graphiques illustrant cette notion sont reproduits dans l’annexe 6. Il faut évidemment éviter de confondre ces variations de vitesse lors des chocs avec des vitesses de circulation, elles sont très inférieures à ces dernières mais il existe une relation statistique dans un environnement donné entre la distribution des vitesses de circulation et la distribution des variations de vitesse lors des collisions observées.

4.5. Synthèse des données permettant d’affirmer l’accroissement du risque d’accident produit par la mise en circulation de véhicules inutilement rapides.

La cohérence entre les résultats de ces différentes études et les fondements théoriques du risque lié à la vitesse de déplacement dans un environnement donné permet de conclure que :

-         vouloir attribuer une proportion unique de décès par accident de la route à un « excès de vitesse » ou à un « défaut de maîtrise du véhicule » du fait d’une vitesse de circulation inadaptée aux conditions de circulation et à l’aptitude du conducteur n’a pas de signification précise. Tous les accidents sont liés à un déplacement d’un ou de plusieurs véhicules qui ont une certaine vitesse. Le problème est de définir le lien statistique entre une des formes sous laquelle nous pouvons documenter la vitesse et le niveau de risque,

-         le risque d’accident ou de blessure s’accroît en fonction de la vitesse, et la fonction mathématique qui exprime le mieux la relation entre vitesse et risque d’accident ou de blessure est de type exponentiel dans l’intervalle de valeurs correspondant aux pratiques réelles des usagers,

-         les études reposant sur l’évaluation des vitesses de circulation de groupes de véhicules accidentés ou sur le risque en fonction de vitesses moyennes mesurées produisent des résultats comparables. Il est possible de calculer la fraction de tués ou de blessés attribuable à un certain niveau de vitesse en utilisant l’une ou l’autre méthode,

-         les conditions d’environnement peuvent influer sur l’importance du risque, par exemple le type de voie utilisé, ou la nature des protections assurées par le véhicule, notamment dans le cadre de la sécurité secondaire assurant la prévention des blessures une fois l’accident survenu, mais ces variables ne modifient pas le fait que le risque est une fonction exponentielle de la vitesse,

-         diminuer la vitesse maximale autorisée par la réglementation va décaler la distribution des vitesses vers des valeurs plus faibles et diminuer la vitesse moyenne, mais une fraction d’usagers continuera de conduire au-delà de la nouvelle vitesse autorisée, même si ces « transgresseurs d’habitude » ont réduit leur vitesse maximale. Ce constat signifie que la seule réglementation associée à un système de contrôle et de sanction est incapable de maîtriser la forme spéciale de délinquance de masse que constitue la délinquance routière,

-         la documentation des variations de la vitesse lors de collisions établit des relations de même nature entre la vitesse et le risque que les études utilisant les vitesses de circulation et les vitesses moyennes dans un certain intervalle de vitesses. Au-delà d’un certain niveau de variation de vitesse la courbe prend une allure différente, la survie devenant exceptionnelle.

4.6. Le risque lié aux performances inutilement élevées, en dehors des accidents survenant à plus de 130 km/h.

Le risque lié à la présence sur le réseau routier de véhicules conçus pour transgresser les limitations de vitesse ne se limite pas à la survenue d’accidents à des vitesses de circulation supérieures à 130 km/h. Le surrisque qui leur est lié est particulièrement important dans un pays comme la France et il convient d’analyser cette particularité de notre pays. Trois types d’arguments sont à prendre en considération pour analyser le risque à des vitesses de circulation inférieures à 130 km/h :

-         le surrisque documenté par les assureurs se situe à un niveau qui dépasse très largement la fraction de kilomètres parcourus sur le réseau autoroutier,

-         les véhicules inutilement rapides sont plus fréquemment en situation de grand excès de vitesse dans des zones limitées à des vitesses inférieures à 130 km/h que les véhicules les plus « raisonnables ». Cette situation est produite par l’association usager-véhicule, l’aptitude à la transgression étant le fait des deux éléments du couple,

-         le lien entre les performances des véhicules très puissants et leur poids induit un surrisque de blessures ou de décès très important pour les tiers exposés aux collisions avec de tels véhicules. Une voiture de 1500 à 2000 kg, capable de rouler à 200 ou 250 km/h, sera un véhicule anormalement dangereux du fait de sa masse à toutes les vitesses de circulation.

La France est particulièrement exposée aux risques liés à l’usage de véhicules inutilement rapides.

L’analyse des résultats des assureurs permet de constater que les véhicules les  plus rapides sont proportionnellement impliqués dans un plus grand nombre d’accidents que les véhicules aux performances plus raisonnables. Cette caractéristique persiste si l’on effectue des corrections pour tenir compte du plus grand nombre de kilomètres parcourus chaque année par les véhicules les plus rapides. L’importance du différentiel de risque est si grande qu’elle ne peut s’expliquer par le seul surrisque lié aux grands excès de vitesse sur les autoroutes. Les usagers de véhicules puissants commettent des excès de vitesse dans tous les environnements routiers, et ce comportement est particulièrement dangereux dans un pays comme la France du fait des caractéristiques de notre circulation, liées à des facteurs géographiques.

La densité de population au kilomètre carré dans notre pays est faible. La géographie humaine est caractérisée par un très grand nombre de petites et moyennes agglomérations reliées par un réseau très dense de voies secondaires. Le risque d'accident sur ces voies est particulièrement élevé, 7,24% de la mortalité routière se situe sur les voies autoroutières, 22,8% sur les routes nationales, 52,19% sur le réseau départemental et 17,78% sur les voies communales et les autres voies. 27,5% des tués le sont dans des agglomérations et 72,5% hors agglomération. La relation inverse entre la densité de la population dans un département et la mortalité routière avait été indiquée dans le livre blanc de sécurité routière de 1989. Le faible niveau de circulation sur un réseau secondaire très développé est un facteur aggravant les difficultés de notre système de contrôle et de sanction, car il est impossible d'avoir sur ces voies un niveau de contrôle comparable à celui qui peut être mis en oeuvre sur les autoroutes et les voies à grande circulation, notamment avec des radars automatiques opérant en continu. Il y a en France 359 597 kilomètres de voies départementales, alors que le réseau autoroutier concédé est de 7718 km et le réseau national de 26 154 km. Deux facteurs de risque se conjuguent, la faible densité de circulation accroît le risque au kilomètre parcouru, l’usager n’ayant pas sa vitesse contrainte par le flux des autres usagers, elle réduit par ailleurs l'efficacité de la dissuasion par des  contrôles de vitesse, peu de véhicules étant concernés dans une période de surveillance déterminée.

 

L'étendue du réseau secondaire inadapté à des vitesses élevées accroît le risque lié à la commercialisation de véhicules puissants et rapides, qui incitent à rouler à des vitesses supérieures au niveau raisonnable sur un tel réseau. L’argument qui consiste à dire que lorsqu’un conducteur fait un excès de vitesse en roulant à 120 km/h sur une route limitée à 90 km/h, il ferait un excès identique avec un véhicule limité par construction à 130 km/h ne correspond pas à notre connaissance de l’interaction entre un instrument et son utilisateur. Il y a dans toutes les activités humaines une relation entre les caractéristiques d'un outil  et l'usage qui en est fait. Des voitures de plus en plus silencieuses, dont les suspensions filtrent toutes les irrégularités de la chaussée, capables de rouler sur leur troisième rapport de boite à la vitesse maximale autorisée sur un réseau secondaire (90 km/h) ont des caractéristiques dangereuses pour l'usager des petites routes françaises.

 

Il est très difficile d’apporter une preuve statistique du lien entre les caractéristiques de l’outil et son usage et inversement de l’indépendance des comportements humains et des potentialités des outils qu’ils utilisent. Toutes les données disponibles sur la relation entre des individus et les instruments qu’ils emploient plaident pour une interaction entre leurs caractéristiques respectives. L’individu qui achète un couteau à cran d’arrêt exprime une forme de relation avec la violence qui permet de prévoir sa plus grande implication dans des rixes. Il est également vrai que la possession de cette arme influe sur ses caractéristiques comportementales. Le fait que l’acheteur d’un véhicule automobile dirige son choix vers un véhicule « calme » ou très « performant » traduit une attitude qui aura des conséquences sur sa façon de conduire, quel que soit le véhicule qui lui est confié. Inversement, l’usage d’un véhicule très rapide va l’inciter à utiliser toutes ses capacités, notamment d’accélération et de dépassement, quels que soient les niveaux de vitesse atteints.

 

Plusieurs sondages ont mis en évidence le fait que de nombreux conducteurs estimaient qu’un véhicule puissant et rapide permettait de rouler vite avec un risque plus faible que celui auquel on s’exposait avec un véhicule qui n’était pas conçu pour atteindre des vitesses très élevées. Ce fait a été documenté avec précision dans une étude de Mark Horswill et Martin Coster en 2002 (The effect of vehicle characteristics on drivers’ risk taking-behaviour – Ergonomics 2002, vol 45, N°2, p.85-104). Il est donc particulièrement important d’établir et de comprendre la signification des liens entre ces faits de comportement et les caractéristiques des véhicules pour prouver que la justification d’une limitation de la vitesse des véhicules à la construction dépasse l’enjeu des accidents survenant à plus de 130 km/h.


 

La documentation du surrisque lié aux caractéristiques des véhicules par les assureurs.

 

Les organismes d’assurance produisent annuellement des bilans statistiques décrivant en termes financiers les dommages induits par les accidents de la circulation. Ces résultats sont particulièrement intéressants pour analyser le risque lié aux véhicules dans des périodes où la diversité des vitesses était plus grande qu’aujourd’hui, notamment pendant la période 1970-1990, ce qui permettait de mettre en évidence la très faible accidentalité des véhicules les plus lents comparativement aux plus rapides. En outre les assureurs individualisaient dans le passé le dommage corporel produit chez des tiers qui étaient extérieurs aux véhicules assurés. S'il est possible d’envisager le risque auquel on s’expose en circulant à une vitesse élevée comme une forme de choix librement consenti, même si cette attitude est critiquable quand c’est la société qui assure en pratique les conséquences économiques d’un accident, il est à l’opposé inacceptable de faire courir des risques évitables aux autres usagers de la route par l’usage des performances d’un véhicule inutilement rapide. Cette situation est une atteinte à leur liberté de vivre et de circuler sans courir un risque anormalement élevé d’être blessés, handicapés ou tués. Il est important dans une telle optique de documenter avec précision cette notion de dommage corporel provoqué chez des tiers extérieurs en fonction du type de véhicule utilisé. Nous verrons que ces données ne sont plus disponibles pour la période récente, le développement de l’assurance des tiers transportés associant dans les bilans les montants des dommages subis par deux groupes de tiers très différents, ceux qui sont dans le véhicule assuré et ceux qui lui sont extérieurs. Confondre ces deux types de dommages dans un résultat global supprime la possibilité d’identifier la situation de ceux qui subissent les conséquences de l’accident en fonction du type de véhicule impliqué.

 

Les tableaux reproduits ci-dessous sont publiés dans les recueils de données statistiques de l’assurance automobile en France (association générale des sociétés d’assurances contre les accidents). Cette publication (pièce n° 10) était bisannuelle dans la période 1970-1990, elle indique notamment les valeurs concernant les dommages corporels provoqués chez des tiers. Il ne s’agit pas des données exhaustives mais d’un échantillon obtenu par sondage auprès des sociétés d’assurance, disponible un ou deux ans après l’année de référence. Nous indiquons dans les tableaux suivants l’année de référence et (entre parenthèses) l’année de l’édition. Deux indices publiés par les assureurs sont utilisés dans ces tableaux. L’indice de fréquence (IF) qui est exprimé pour chaque groupe de véhicules (ou réunion de groupes) avec comme référence la base 100 pour l’ensemble des véhicules. Il s’agit d’un indice de " fréquence des sinistres avec suite, véhicules de 1ère catégorie, responsabilité civile ", la colonne retenue est celle des " sinistres corporels avec suite ". Le second est un indice de coût moyen (ICM) établi pour les mêmes groupes ou ensemble de groupes. Il est désigné dans les documents des assurances comme un indice de " coût moyen des sinistres avec suite, véhicules de 1ère catégorie, responsabilité civile et dommages ", la colonne retenue est celle intitulée " responsabilité civile " qui comporte une subdivision " dont sinistres corporels ". La base 100 est un indice de coût moyen pour l’ensemble des véhicules assurés. Les caractéristiques des risques liés aux véhicules évoluant (création de véhicules plus puissants, vieillissement des véhicules des groupes les plus faibles qui ne sont plus produits), les assureurs constituent de nouveaux groupes et adaptent les regroupements effectués suivant les éditions. Curieusement les assureurs qui publiaient ces indices n’ont jamais effectué la multiplication de l’indice de fréquence par l’indice de coût moyen pour obtenir un indice de coût global par groupe de véhicules. C’est ce produit qui est indiqué dans la colonne " indice de coût total ". Il a été divisé par cent pour obtenir un indice moyen de 100 pour l’ensemble des véhicules, comme cela était fait pour les deux autres indices. La dernière colonne intitulée " risque relatif " divise chaque indice de coût total par celui du groupe le plus faible (groupe 2 pour les résultats de 1971) afin de disposer d’un élément de comparaison entre les groupes. Par exemple pour le groupe 12, les coûts totaux moyens payés par assuré dans le cadre des dommages corporels au titre de la responsabilité civile étaient 7 fois plus élevés que pour le groupe 2.

 

L’utilisation de données relativement anciennes a deux justifications. La première est liée au fait que les performances des véhicules se sont régulièrement accrues et la période 1970-1980 était caractérisée par une très grande étendue de la gamme de puissance et donc de vitesse des véhicules commercialisés. Depuis, le déplacement de la production vers un ensemble de véhicules aux performances excessives réduit l’ampleur des risques relatifs. Cette évolution avait été notée dans le Livre blanc sur la sécurité routière de 1989 qui avait publié le tableau suivant produit par Renault. Il exprime la proportion de véhicules neufs atteignant un certain niveau de vitesse maximale.
 

Année

90 à 110 km/h

110 à 130 km/h

130 à 150 km/h

Plus de 150 km/h

1967

28%

29%

33%

10%

1972

13%

19%

47%

21%

1980

 

18%

32%

50%

1987

 

4%

23%

73%

 

 

L’actualisation du tableau en 2000 mettait en évidence un fait important, la disparition des véhicules neufs dans les tranches correspondant aux vitesses maximales les plus basses. Parmi les 223 combinaisons de modèles et de motorisations offertes lors du salon mondial de l'automobile, il n'y avait plus de modèle de voiture à essence chez les trois grands constructeurs français qui ne puisse atteindre 150 Km/h, à l'exception de cinq véhicules très orientés vers le "transport léger" que la motorisation la plus basse propulse cependant à plus de 140 km/h (3 Kangoo, 1 Partner et 1 Berlingo) , 55 modèles peuvent dépasser 200 Km/h. Cette évolution explique la diminution progressive des risques relatifs mesurés en comparant les dommages provoqués par les véhicules les plus lents et ceux provoqués par les véhicules les plus rapides. L'excès dans ce domaine devient la règle, pratiquement tous les utilisateurs sont maintenant dotés de véhicules inutilement puissants. Il est donc particulièrement important d'étudier les données concernant des périodes où les deux types de véhicules coexistaient sur les routes pour avoir une idée précise du niveau de risque relatif qui leur est lié. Pour utiliser les indicateurs les plus pertinents, il est nécessaire de prendre en compte un ensemble de faits documentés par les chercheurs spécialisés dans ce domaine.

 

La seconde justification est l’impossibilité d’actualiser ces valeurs pour la période récente. Les assureurs ont développé des polices incluant l’assurance des personnes transportées et leurs statistiques n’isolent pas le dommage provoqué à des personnes transportées de celui concernant des tiers extérieurs. Un véhicule lourd et puissant (les deux caractéristiques sont très liées) peut infliger des dommages importants à des tiers extérieurs du fait de sa masse et se révéler protecteur pour ses occupants du fait de cette masse élevée. La confusion entre les différents types de tiers ayant subi des dommages ne permet plus un usage pertinent de ces données pour la période actuelle. Une description plus complète de ces résultats est disponible dans l’annexe 7.

Valeurs pour le sondage de 1971 (publication 1972) concernant les accidents ayant produit des dommages corporels chez des tiers :

Groupe = groupe de tarification des assureurs,

Fréquence = indice de fréquence des accidents avec dommages corporels chez des tiers pour chaque groupe,

Coût moyen = indice de coût moyen des dommages corporels produits chez des tiers par les véhicules de ce groupe,

 Coût total = Indice du coût total de ces dommages corporels,

 Risque relatif = risque relatif par rapport au groupe qui a le plus faible indice

Groupe

Fréquence

Coût moyen

Coût total

Risque relatif

2

58

68

39

1

4

58

67

39

1

5

89

89

79

2

6

79

 

 

 

7

84

87

73

1,9

8

116

92

107

2,7

9

105

119

125

3

10

121

108

131

3,4

11

126

118

149

3,8

12

179

152

272

7

Valeurs pour la période pendant laquelle la publication regroupait les groupes 1 à 4 (à noter que les indices de coût moyen publiés en 84 ne correspondent pas à la même année que les indices de fréquence publiés cette année là. La valeur entre parenthèses correspond à l'année de la publication des données.

Groupes

IF 75 (76)

ICM 75 (76)

IF 82 (84)

ICM 81 (84)

IF 84 (86)

ICM 84 (86)

1 à 4

60

57

47

57

33

27

5 et 6

80

57

60

80

58

64

7

87

86

80

87

100

80

8

107

96

120

83

100

67

9

113

79

100

101

100

108

10

113

123

100

106

100

114

11

133

93

133

114

133

104

12

147

140

125

111

125

118

13 et plus

187

177

125

130

125

118

Le calcul d’un indice de dommages corporels payés par les assureurs au titre de la responsabilité civile des assurés produit les valeurs suivantes :

Groupes

ICG 75

RR 75

ICG 82

RR 82

ICG 84

RR 84

1 à 4

34

1

27

1

9

1

5 et 6

46

1,4

48

1,8

37

4,1

7

75

2,2

70

2,6

80

8,9

8

103

3

100

3,7

67

7,4

9

89

2,6

100

3,7

108

12

10

139

4,1

106

3,9

114

12,7

11

124

3,6

152

5,6

127

14,1

12

206

6,1

139

5,1

147

16,3

13 et plus

331

9,7

162

6

162

18


Il est exceptionnel d’observer une telle amplitude de dommages dans la gestion des risques pour la santé de l’homme. Un risque relatif de 18 représente 1800% d'accroissement des dommages provoqués chez des tiers pour les véhicules qui produisent le plus de dommages par rapport à ceux qui en produisent le moins.

 

Les assureurs viennent de modifier les règles déterminant l’appartenance d’un véhicule à un groupe de tarification. Cette actualisation ne transforme pas en profondeur les critères utilisés pour déterminer cette classification, il s’agit simplement d’une adaptation produite à partir des résultats observés et destinée à faire concorder le plus étroitement possible le risque et les primes payés par les assurés. Si le facteur humain était le seul à intervenir sur le risque dans la détermination des dommages provoqués chez des tiers, la procédure de classement tiendrait compte uniquement des variables humaines (ancienneté de permis, sexe, âge, bonus-malus etc.). Il n’en est rien, les assureurs tiennent compte d’abord des caractéristiques du véhicule assuré.

 

Le classement dans un groupe est obtenu par l’application de la formule suivante :

valeur du groupe  = 20 + ((a x Préelle/Mvide + Moccupants) + (b x Vmax – Vréf) + (c x PTAC)) x ( 1 + d x Nconception)

a,b,c,d sont des coefficients de pondération pour les différents facteurs pris en compte : a = 27,88  b = 0,0769  c = 0,00283  d = 0,020

P réelle = puissance réelle du véhicule en chevaux DIN

Mvide = masse à vide du véhicule tous pleins faits, en kilogrammes

Moccupants = évaluation de la masse de deux occupants et de leurs bagages à 200 kilogrammes

Vmax = vitesse maximale du véhicule en Km/h

Vréf = vitesse de référence fixée à 130 km/h

PTAC = poids total autorisé en charge en kilogrammes

Nconception = note de conception attribuée au véhicule qui varie entre 0 et -2 pour un véhicule considéré comme excellent de ce point de vue (cet élément intervient peu sur le classement compte tenu de la faible valeur donnée au coefficient d, cette note de conception tient compte des facteurs améliorant la sécurité active ou passive du véhicule)

Cette formule identifie parfaitement les facteurs de risque quantifiés par les accidentologistes. La convergence des deux formes d’abord de l’accident, par les coûts induits et par les dommages humains évalués en termes de blessés légers ou graves et de tués, n’est pas surprenante, les assureurs ont été les premiers utilisateurs des méthodes statistiques de l’épidémiologie. Pour prévoir des coûts et ajuster des primes ils observent les situations réelles et ils construisent des modèles empiriques. La formule précitée est un modèle mathématique du risque routier lié au véhicule.

Il est important de constater que l’usage des trois facteurs de risque utilisés est d’une grande simplicité :

-         le premier élément de la formule caractérise le rapport Puissance/Poids c’est à dire le nombre de chevaux qui seront utilisés pour mobiliser un véhicule de 900, 1200 ou 2000 kilogrammes. Plus il y aura de puissance par unité de poids, plus le véhicule pourra accélérer et avoir une vitesse maximale élevée,

-         le second élément semble redondant avec le premier puisqu’il se fonde sur la vitesse maximale exprimée sous la forme d’une différence par rapport à la vitesse la plus élevée autorisée sur nos routes. Son utilité justifiait cependant son usage car il est clair qu’un véhicule peut avoir des caractéristiques de pénétration dans l’air qui vont modifier sa vitesse maximale pour un rapport Masse/Puissance identique. L’excès de vitesse maximale potentielle par rapport au maximum autorisé est une notion qui se rapproche étroitement de notre démarche. Plus on peut dépasser les vitesses maximales autorisées, plus on engendrera de risque, donc de dépenses pour les assureurs,

-         le troisième élément a également une relation avec les deux autres facteurs de risque, tout en ayant son rôle propre qui justifie sa prise en compte. Nous avons cité plusieurs études mettant en évidence le rôle très important de la masse des véhicules dans le risque routier et le lien statistique très fort qui unit la masse, la puissance et la vitesse maximale. Accroître la vitesse maximale augmente le risque d’être impliqué dans un accident, accroître la masse augmente les dommages produits par l’accident. Quand on associe vitesse élevée et masse élevée, on obtient le risque maximal, le véhicule devient incompatible avec la survie des occupants des véhicules heurtés de faible masse.

Les compagnies d’assurances vont utiliser cette formule, combinée à des facteurs de risque humains tels que le bonus-malus et l’ancienneté du permis pour établir leur tarification que nous considérons comme représentative du risque réel (cela n’a pas toujours été le cas, il y a une vingtaine d’années, le rapport entre la prime d’assurances et les dépenses liées aux accidents n’était pas identique dans tous les groupes, les propriétaires des véhicules des groupes élevés payaient des primes proportionnellement un peu moins élevées que ceux des véhicules les moins dangereux).

 

Les derniers résultats des compagnies d’assurances prouvent le bien fondé de l’usage de cette formule de tarification et la persistance d’un effet très important des caractéristiques liées au véhicule sur le risque accidentel. Ce constat s’oppose à l’argumentation des adversaires de la limitation de la vitesse à la construction, fondée sur le fait que la très grande majorité des accidents surviennent à des vitesses inférieures à 130 km/h et pourraient de toutes façons être provoqués par des véhicules limités par construction à cette vitesse maximale. Dans un système associant un outil et un utilisateur, l’interaction entre les deux facteurs est une réalité constatée par tous les ergonomistes dans tous les domaines. Si le véhicule n’intervenait pas dans les excès de vitesse à moins de 130 km/h, les assureurs n’auraient pas besoin d’utiliser leur formule pour évaluer le risque et fixer la tarification. Ils pourraient se contenter de tenir compte de l’ancienneté du permis et du bonus-malus pour les conducteurs ayant plusieurs années d’expérience de la conduite (le risque lié à l’inexpérience devient négligeable après environ cinq années de conduite). Nous pouvons dire que l’amplitude élevée du risque relatif entre les différents groupes de véhicules circulant il y a une trentaine d’années traduisait la diversité du parc mis en service et la coexistence de véhicules lents et légers avec des véhicules plus rapides et plus lourds. Actuellement l’amplitude des variations du risque s’est réduite parce que la vitesse maximale des véhicules s’est élevée, il est facile de constater que pratiquement tous les véhicules légers dépassent 150 km/h. Dans le même temps il y a toujours un ensemble de conducteurs aux attitudes très diverses face au risque routier, mais dont une grande partie surestime ses capacités de conduite (environ deux conducteurs sur trois estiment conduire mieux que la moyenne !). Si le risque relatif de cet ensemble de conducteurs varie avec l’évolution du parc automobile, et si les assureurs continuent à fonder principalement l’évaluation du risque sur des caractéristiques liées au véhicule, c’est bien parce que ce dernier est un facteur causal dans la survenue du risque. Il serait aventureux d’imaginer que l’aptitude d’un conducteur donné à provoquer des accidents détermine totalement sa motivation d’achat d’un modèle donné de véhicule (avec ses risques calculés par la formule des assureurs) et que le résultat de cette formule peut être confondu avec un indicateur de comportement !

 

Ces données constituent un argument décisif pour affirmer que les caractéristiques des véhicules utilisés jouent un rôle majeur dans la survenue des accidents dans toutes les configurations de voies et de limites de vitesse. Quand on dispose d’un instrument inadapté au respect des règles et qui incite en permanence à leur transgression par ses « qualités » (réduction des bruits aérodynamiques, accélérations, vitesse maximale élevée), ces caractéristiques favorisent l’accroissement du risque.

 

Les infractions aux règles concernant la limitation de vitesse sont plus fréquemment commises par les véhicules les plus rapides

 

L’un des membres de notre association développe une étude en collaboration avec des unités de police et de gendarmerie, pour documenter la fréquence relative avec laquelle un véhicule possédant des caractéristiques de vitesse et de puissance connues se trouve en grand excès de vitesse sur des voies non autoroutières. L’hypothèse de travail est que si le risque documenté par les assureurs est à un niveau aussi élevé pour les véhicules inutilement rapides, il doit être possible de vérifier que leurs vitesses de circulation sont plus élevées dans toutes les conditions de limitations de vitesse.

 

La procédure suivie consiste à exploiter les résultats de contrôles de vitesse sans interception effectués par des policiers et des gendarmes, les radars étant placés dans des véhicules banalisés. L’adresse du propriétaire est recherchée sur le fichier national des immatriculations pour établir la procédure, il est alors possible de saisir également  le « type » du véhicule qui est actuellement défini par une chaîne de 12 caractères permettant d’avoir accès à une base de données comportant notamment la vitesse maximale et la puissance maximale du véhicule.

 

La difficulté est de disposer d’une évaluation de la représentation de la circulation d’un type donné de véhicules. La méthode la plus simple consisterait à exploiter les données réunies par l’Association auxiliaire de l’automobile (AAA), créée par les constructeurs pour collecter l’ensemble des données non nominatives des certificats d’immatriculation. Il serait alors possible de comparer le nombre de véhicules mis en circulation en France dans des classes définies de puissance et de vitesse aux véhicules constatés en infraction dans les mêmes classes. Une correction sur le kilométrage pourrait être faite en utilisant des données disponibles sur le lien entre classes de véhicules et kilométrage moyen parcouru. A ce jour le responsable de l’AAA n’a pas souhaité communiquer ces données pour une telle recherche.

 

Une exploitation limitée des données disponibles a été faite en réalisant des comptages de véhicules de certaines marques produisant principalement des véhicules rapides dans les zones où les contrôles étaient réalisés (Audi, Mercedes, BMW). L’évaluation de l’exposition au risque était facilitée par la réalisation d’un comptage de la fraction des véhicules de ces marques passant devant le radar effectuant le contrôle. Dans un exemple de cette étude où le radar était réglé sur 105 km/h dans une zone limitée à 70, 328 excès de vitesse de plus de 35 km/h ont été constatés. 43 véhicules contrôlés en excès de vitesse étaient des trois marques précitées soit 13,1%, dans le même temps la fraction de véhicules de ces marques dans le flux de circulation était seulement de 7,9%.

 

Il est important de noter que des études de ce type n’ont jamais été entreprises dans le passé, comme si le comportement infractionniste devait être analysé indépendamment de l’outil indispensable pour commettre l’infraction. Cette négligence dans la documentation des risques liés aux véhicules inutilement rapides est également observable dans le domaine des statistiques d’accidents. Nous avons signalé que les données produites par les assurances étaient maintenant insuffisantes pour documenter le risque de dommages corporels infligés à des tiers extérieurs aux véhicules impliqués. L’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) devrait pouvoir produire ces statistiques à partir des bordereaux d’analyse des accidents corporels (BAAC), cependant aucune donnée relative aux différents types de véhicules légers n’est disponible dans les bilans annuels de l’insécurité routière publiés par l’ONISR. Deux explications permettent de comprendre cet état de fait, le désintérêt des pouvoirs publics pour le lien entre les caractéristiques des véhicules et la survenue des accidents a provoqué progressivement une régression de la qualité des données recueillies dans le BAAC par les unités de police et de gendarmerie. Une donnée non exploitée et non validée ne peut maintenir un niveau de qualité suffisant, et cette situation a été aggravée à partir de 1995 quand le nombre de caractères nécessaires pour coder le CNIT est passé de 8 à 12. Malgré les demandes répétées des chercheurs qui souhaitaient exploiter ces données, les bordereaux de saisie, puis les logiciels de saisie lors de l’informatisation du processus, n’ont pas été mis à jour et depuis cette période le champ permettant de saisir cette caractérisation du véhicule est inexploitable. La situation est en cours d’évolution, les logiciels ont été actualisés à partir de janvier 2004, mais il ne semble pas que le contrôle de qualité ait été mis en place et les dernières données disponibles ne permettent toujours pas l’analyse exhaustive du risque d’accident lié au véhicule. Cette situation rappelle celle qui a prévalu longtemps dans le domaine du risque lié à l’amiante, où l’Etat ne s’est pas donné les moyens de mieux connaître les différentes composantes du risque. Il est impossible de maîtriser correctement un risque quand on ne se dote pas des moyens de le documenter. La gestion sur 8 caractères d’une donnée statistique qui en comporte 12, pendant 9 années, est un exemple caricatural des insuffisances de l’Etat dans ce domaine. Malgré les carences du travail de l’Etat dans la documentation du risque lié au véhicule, nous pouvons affirmer en utilisant les données des assureurs que le surrisque lié à la puissance et à la vitesse inutile est observé sur l’ensemble du réseau routier.

 

 

Le lien entre la masse des véhicules et leur puissance joue un rôle majeur dans le surrisque induit par la mise en circulation de véhicules inutilement rapides.

 

Deux facteurs de risque pour les usagers extérieurs à un véhicule heurtant doivent être distingués : la vitesse de ce véhicule et sa masse. Schématiquement la vitesse de circulation va avoir un rôle prépondérant  dans la production de l'accident (vitesse de circulation excessive dans le contexte routier de l'accident) et les dommages corporels produits chez l'usager heurté dépendront de la vitesse de collision et de la masse du véhicule heurtant. Cette masse intervient de plusieurs façons. Lors d'un choc contre un autre véhicule, la variation de vitesse subie par le véhicule heurté va dépendre directement du rapport entre les masses des deux véhicules, elle dépend également bien entendu de la vitesse et de la direction de déplacement des véhicules. Un véhicule léger heurté frontalement ou par l'arrière par un véhicule plus lourd subira une variation de vitesse plus importante que ce dernier et les dommages de ses occupants seront plus graves, les accélérations subies étant elles mêmes plus sévères. Il existe un lien statistique entre la masse des véhicules et leur puissance ou leur vitesse maximale et une étude accidentologique qui prend en compte la seule masse pour évaluer le risque de provoquer des blessures chez des tiers heurtés, va faire apparaître un lien entre cette masse et le risque. Dans cette situation la vitesse excessive peut être le facteur prédominant dans la survenue de l'accident et la gravité des conséquences sera principalement déterminée par la masse, elle-même croissante pour satisfaire les conditions de réalisation d'un véhicule très rapide et puissant.

 

L’étude de l'évolution du lien entre la masse et la vitesse des véhicules au cours des trente dernières années permet de constater la dérive progressive du parc vers des véhicules de plus en plus "agressifs", car ils sont devenus plus lourds en même temps qu'ils devenaient plus rapides. Il ne faut pas croire que cette évolution dangereuse ne concerne qu’une petite minorité de véhicules. Une 405 Peugeot produite il y a dix ans était un véhicule spacieux dont le poids variait entre 1000 et 1100 kilos suivant les modèles. Dix ans plus tard, une 307 pèse près de 200 kilos de plus et va plus vite, alors que son habitacle a un volume plus faible. L'exemple de l'Audi A4 V6 TDI  est particulièrement intéressant de ce point de vue (voir Auto Plus n° 649 du 13 février 2001). Doté d'un V6 de 180 chevaux, ce véhicule pèse 200 kg de plus que le modèle précédant, atteignant 1650 kg ! La puissance a augmenté de 30 chevaux.

 

Une telle évolution est liée à un ensemble de motifs parmi lesquels l'amélioration de l'insonorisation n'est pas négligeable et surtout l'accroissement de la raideur des caisses qui reçoivent de nouvelles adjonctions de renforcements destinés à protéger aussi bien en cas de choc frontal qu'en cas de choc latéral. Il faut analyser cette évolution en prenant en compte le développement de nouvelles techniques de protection (sacs gonflables, prétenseurs de ceinture) qui permettent d'améliorer les résultats des tests de sécurité avec des voitures plus raides, dont les habitacles sont plus résistants aux déformations et aux intrusions.

 

Il faut comprendre que ces "améliorations" ne sont possibles qu'au prix d'une accentuation de l'agressivité de ces véhicules pour les usagers extérieurs impliqués dans un accident. Un cercle vicieux s’instaure dans lequel la vitesse inutile joue un rôle moteur. Pour pouvoir vendre une voiture roulant à 250 km/h, il faut qu’elle soit conçue pour assurer la tenue de route et le confort à cette vitesse et qu’elle puisse garantir une certaine protection de ses occupants à des vitesses de collision supérieures à celles observées avec des véhicules moins performants, et pour cela il faut augmenter sa rigidité et son poids. Et pour pouvoir mieux résister à des chocs contre de telles voitures, les autres voitures doivent aussi augmenter leur rigidité et leur poids, engendrant une dérive sans fin vers un parc automobile de plus en plus agressif.

 

Au lieu de faire évoluer le parc de voitures vers une homogénéisation des poids, des raideurs et de l'agressivité, nous assistons à une aggravation des différences, et cette dérive n'est possible que du fait de l'incapacité des pouvoirs publics de l'Union Européenne à assurer la sécurité pour tous en optimisant la compatibilité entre les différents véhicules du parc automobile. La dérive actuelle des véhicules lourds, raides, rapides et puissants, accentue la différence entre les mieux protégés et les moins protégés. L'évaluation de ce facteur doit tenir compte du fait que l'âge moyen du parc actuel est de 7 ans et que de nombreux véhicules de plus de 15 ans circulent encore.

 

Les publications accidentologiques décrivant ces relations entre le poids ou une combinaison du poids et de la puissance avec le risque ne sont pas nombreuses. Les plus récentes parmi les publications françaises sont les suivantes :

-         Agressivité des véhicules et protection de leurs occupants - Hélène Fontaine et Yves Gourlet

-         Recherche Transports Sécurité n° 36 décembre 1992. Cette étude distingue parfaitement la mortalité externe et la mortalité interne en fonction du poids et de la puissance. Sa limite est liée à la relative ancienneté de la période concernée et de la limite supérieure fixée pour la classe de poids (1000 kg), nous avons maintenant besoin d'études distinguant la tranche 1000-1200 kg, 1200-1400 et plus de 1400 kg.

-         Sécurité des véhicules et de leurs conducteurs - Rapport INRETS n°175 - Hélène Fontaine et Yves Gourlet - Février 1994.

-         L'agressivité des véhicules dans les accidents - Journée spécialisée de l'INRETS du 20 mars 1997.

-         Influence of car weights on driver injury severity and fatalities in head-on collision - Jean-Yves Foret-Bruno et collaborateurs - ESV 1996 - Cette étude fondée sur l'analyse de 41668 collisions fronto-frontales survenues en France et connues par le fichier informatisé des accidents corporels est particulièrement intéressante par l'individualisation des véhicules de plus de 1200 kg. La phrase suivante : "La mortalité pour le conducteur dans la voiture la plus légère (moins de 850 kg) en collision fronto-frontale contre une voiture de la classe de masse la plus élevée (supérieure à 1200 kg) est 7 fois plus grande que celle du conducteur adverse." met bien en évidence la parfaite connaissance de ce type de risque qui n'a provoqué aucune réaction des décideurs. Rappelons que l'habitabilité d'un véhicule n'est pas concernée, et que l'on sait faire des grandes voitures d'un poids proche d'une tonne.

-         Estimating relative driver fatality and injury risk according to some characteristics of cars using matched-pair multivariate analysis – Jean-Louis Martin et collaborateurs (INRETS-UCBL UMRETTE) conférence ESV 2003 – paper N°364. Très proche méthodologiquement de l’étude de Jean-Yves Forêt-Bruno de 1996, cette étude précise que le risque de blessure est six fois plus faible pour le conducteur d’un véhicule de plus de 1200 kg lors d’une collision avec un véhicule de moins de 800 kg. 

La logique qui a prévalu pour faire établir des limitations de vitesse à la construction des poids lourds, compte tenu de la gravité des dommages produits chez les occupants de voitures légères lors de collisions, semble totalement abandonnée dans la gestion de la masse des véhicules de tourisme. Nous laissons mettre en circulation des véhicules dits « légers » avec des poids élevés qui vont les rendre particulièrement agressifs et dangereux. La notion de compatibilité, des formes, des structures et des masses est une notion clé pour avoir un parc de véhicules protecteurs pour l’ensemble de la population qui les utilise. La dérive progressive des masses et des vitesses observées actuellement est la négation de cette logique. Les véhicules devraient être limités en vitesse maximale à la construction en fonction de leur poids, comme le sont les poids lourds.

4.7. Peut-on évaluer le nombre de morts par accident de la route qui seraient évitées par une limitation à 130 km/h par construction de la vitesse maximale des véhicules légers ?

Nous devons distinguer l’évaluation des vies épargnées par une action directe sur les accidents produits à une vitesse élevée, dépassant 130 km/h, de celles qui seront épargnées par la réduction de l’accidentalité à des vitesses de circulation inférieures à cette valeur.

 

 

La réduction des tués dans des accidents impliquant des véhicules circulant à plus de 130km/h par une décision de limitation par construction à 130 km/h de la vitesse des véhicules.

 

Son ordre de grandeur peut être évalué à un minimum d’une centaine de décès pour les seules autoroutes et routes nationales, en utilisant les données de la littérature scientifique et les statistiques françaises concernant la distribution des vitesses sur les différents types de voies. Le plafonnement à 130 de la vitesse maximale sur les autoroutes de liaison diminuerait la vitesse moyenne de 5 km/h (passage de 123,5 à 118,5 km/h). L’application de la règle empirique constatant une diminution de la mortalité dans le rapport des vitesses moyennes élevé à la puissance quatre, permet d’évaluer la réduction de la mortalité qui serait obtenue à 18%.

 

En utilisant les données de l’ONISR sur la distribution des vitesses sur les autoroutes de dégagement et sur les routes nationales à deux fois deux voies, l’application de la même méthode produit une évaluation de la réduction de la mortalité de 5% sur le premier type de voies et de 3% sur les secondes.

 

Nous n’avons pas fait d’estimation pour les autres types de voies – sur lesquelles se produisent la grande majorité des accidents mortels – car nous ne disposons pas d’études épidémiologiques utilisables pour estimer le surrisque. Les 1,1% de conducteurs qui circulent à plus de 130 km/h sur des voies départementales à grande circulation limitées à 90 km/h se situent dans la partie la plus haute de la courbe exponentielle du risque en fonction de la vitesse de circulation. Leur surreprésentation dans les accidents graves sera bien entendu très supérieure à cette proportion de 1,1% qui représente leur participation aux kilomètres parcourus sur ces voies particulièrement dangereuses.

 

Rappelons la mortalité sur les différents types de voies :
 

Année

Autoroutes de liaison

Autoroutes de dégagement

Routes nationales

Routes départementales

Voies communales

2002

328

165

1790

3738

1221

2003

275

140

1306

2991

1019

 

 La réduction des tués dans des accidents impliquant des véhicules circulant à moins de 130 km/h

 

Il s’agit de l’enjeu le plus important de la mesure, l’ordre de grandeur de la réduction de la mortalité envisageable n’étant plus la centaine mais le millier de décès.

 

L’évaluation précise est rendue difficile par la présence de facteurs de confusion associés à la vitesse élevée des véhicules les plus puissants. Nous avons indiqué qu’il est notamment difficile de dissocier :

-         la propension à faire des excès de vitesse dans tous les contextes de circulation par une proportion importante d’usagers acheteurs de véhicules puissants (la motivation d’achat d’un véhicule dangereusement rapide est déterminée en partie par l’intention d’utiliser ses performances),

-         la facilitation des vitesses excessives dans tous les contextes de circulation par la disponibilité des performances dangereuses.

 

Nous avons analysé ci-dessus les résultats produits par les compagnies d’assurances. Ces dernières n’établissent pas le risque de dommage produit chez des tiers pour fixer le montant des primes d’assurances, elles utilisent une formule tenant compte de la vitesse maximale du véhicule, de sa puissance et de sa masse.

 

Nous avons également développé l’importance d’un autre argument qui exclut la possibilité d’affecter le risque à l’utilisateur en niant totalement l’influence du véhicule lorsque la vitesse de circulation est inférieure à 130 km/h, c’est l’influence de la masse sur le risque et son lien statistique avec la masse et la vitesse maximale. Si les pouvoirs publics français, puis européens, ont fixé une limitation de la vitesse des poids lourds à la construction, c’est bien parce que les données de la mécanique des chocs permettaient de conclure que lors de collisions avec des véhicules légers, les occupants de ces derniers subissaient des accélérations plus importantes, et des lésions provoquées directement par la déformation des habitacles de leurs véhicules. La situation est identique quand nous sommes confrontés à un accroissement régulier de la masse des véhicules les plus rapides. Une logique élémentaire exigerait que les vitesses maximales des véhicules les plus lourds soient plus réduites que celles des véhicules légers, pour diminuer leur agressivité en cas de collision avec ces derniers, hors c’est l’inverse qui est observé. La limitation de la vitesse à la construction est une condition pour bloquer l’escalade des poids observée actuellement. Faire des moteurs plus lourds pour avoir plus de puissance, augmenter le poids des coques pour avoir plus de rigidité et de stabilité à grande vitesse, sont des facteurs d’accroissement du risque qui justifieraient à eux seuls la limitation de la vitesse maximale à la construction. Il faut interdire les véhicules inutilement rapides pour provoquer la décroissance des masses, une masse élevée étant en elle-même un facteur de risque majeur.

 

Actuellement les assureurs communiquent des résultats pour l’année 2001 qui mettent en évidence un risque relatif de 2,25 entre les véhicules des groupes inférieurs à 9 par rapport au groupes 14 et + . Ces valeurs sont obtenues en tenant compte de la fréquence des accidents corporels et de leur coût moyen. Pour mettre en évidence avec précision le risque pour les tiers extérieurs aux véhicules (non documentés par les assureurs) il faudrait que l’observatoire national interministériel de sécurité routière gère le risque en fonction des types de véhicules. Nous avons vu qu’il est actuellement incapable de le faire, le type de véhicules indiqué sur les cartes grises n’étant pas correctement saisi sur les bordereaux d’analyse des accidents corporels et n’étant pas exploité. Les valeurs obtenues seraient très supérieures à ce risque relatif de 2,25 entre les dommages provoqués dans les sinistres avec blessures par les véhicules les plus « raisonnables » et les plus « excessifs ».

 

Prendre en considération ces faits, en tirer les conséquences pour avoir des véhicules moins rapides et compatibles en poids, permettrait de supprimer une proportion élevée des 3509 tués dans des véhicules légers (valeurs 2003). Nous sommes incapables de dire avec précision si 500 ou 1500 vies seraient épargnées mais les connaissances disponibles font retenir un tel ordre de grandeur.